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RADIO RECRE
5 mars 2007

Quand les jeunes prennent la parole

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« Les ondes risquent, pendant quelque temps, d’être témoins de sons et de mots en étonnants qu’elles n’oseront même pas raconter aux oiseaux. Tant pis ! C’est toujours de certains excès que naissent paradoxalement les équilibres. »

Armand Boyé, journaliste à La Dépêche du Midi, ne croyait pas si bien dire en annonçant, le 19 juin 1982, la naissance de la radio des collégiens de Villebourbon à Montauban, première expérience du genre dans l’Hexagone.

Plusieurs mois, presque un an auparavant, on avait pu entendre sur les ondes, de façon irrégulière les premiers balbutiements de la radio collégienne, dans la plus parfaite clandestinité car l’autorisation officielle n’avait pas encore été obtenue. C’était le règne du laisser-faire et de la tolérance 100%. Heureuse époque ! Mais comment une idée aussi saugrenue que celle de confier la parole publique à des enfants et des adolescents avait-elle pu germer ?

Un jour d’automne de l’année précédente, Bernard, mon copain de toujours, la mine réjouie, débarquait chez moi : « tu as entendu ? ça y est, les radios libres sont autorisées. »

Bernard_LavalBernard Laval

Depuis un peu plus d’un an cette idée nous trottait dans la tête, surtout celle de Bernard à vrai dire. Technicien supérieur en électronique, Bernard était cadre commercial dans une entreprise de radio-téléphone de Montauban. Il était aussi père de deux fillettes dont l’une était collégienne à Jean-Jaurès (Villebourbon) où j’enseignais les sciences naturelles (aujourd’hui on dit plutôt SVT, sciences de la vie et de la terre.) C’était l’époque où fleurissaient un peu partout les radios libres que l’on qualifiait de pirates car ces voix clandestines violaient sans vergogne la sacro-sainte règle du monopole d’Etat de l’expression radiophonique, légalement contournée du reste par les radios dites « périphériques ». Bernard avait plusieurs fois insisté pour que nous nous lancions dans l’aventure : « à la boîte on va te fabriquer un petit émetteur FM en mono et t’installer un studio expérimental, on t’expliquera comment ça marche et tu verras, ça ira tout seul. » Sauf que j’étais fonctionnaire d’Etat et ne pouvais de ce fait entreprendre une action illégale. Ensuite, autre argument de poids, je ne connaissais rien à la radio. Hormis quelques notions d’électronique, toutes théoriques, apprises sur les bancs de la fac, j’ignorais tout des circuits intégrés et de la connectique. Et la programmation ? Aucune idée. La conduite d’une émission ? Pas davantage. Le vertige…

« T’en fais pas, me disait Bernard, on va tous s’y mettre. Les jeunes vont être emballés, les profs et les parents vont suivre. A nous tous on y arrivera. » Bernard n’oubliait qu’un seul obstacle : l’Administration. Comment allait-elle tolérer ce corps étranger ? Un phénomène de rejet était à craindre. Il allait falloir jouer fin. Je me lançais donc dans la rédaction d’un projet pédagogique (le prix payer) que j’allais présenter au Principal. L’accueil ne fut pas rebutant, loin de là, mais il fallait par précaution ouvrir le parapluie et obtenir le feu vert de l’Inspection académique. Je m’attelais donc à une deuxième rédaction, plus argumentée, plus détaillée, plus sécurisante, plus un peu tout… J’avais l’air d’être sûr de moi. Un coup de poker.

1er_studio_1Entre temps, avec l’accord du Principal, nous avions installé notre petit émetteur, gros comme une boîte à chaussures, et le mini studio expérimental dans un petit bureau attenant à celui du Principal adjoint, entre une photocopieuse et une armoire emplie de dossiers scolaires. Ceci pour dire que nous manquions plutôt de tranquillité. L’antenne, un simple dipôle, était sur le toit et son câble entrait par la fenêtre. Nous en étions aux essais techniques, et ça marchait ! J’avais sorti à la ronéo un appel aux collégiens qui avait été distribué dans les classes et affiché l’annonce d’une réunion à l’interclasse de la demi-journée. Ils étaient venus très nombreux et, avec Bernard, nous leur avions présenté le projet. « Voilà, c’est comme une piscine mais personne ne sait nager. Nous vous proposons d’y sauter tous en même temps et d’apprendre ensemble » Il en aurait fallu davantage pour leur faire peur. Les parents aussi étaient venus à une autre réunion, moins nombreux que ce que nous aurions espéré, mais enfin, il y avait des bonnes volontés et c’était là l’essentiel. Quant aux profs, ce n’était pas l’affluence. Il fallait en vouloir pour faire des heures sup. non payées. Il y avait déjà les contraintes de réunions et autres conseils de classe. Un métier difficile et éprouvant pour le système nerveux. Et puis, cette impression diffuse de se retrouver incompétent devant les collégiens, en tout cas pas mieux armés qu’eux dans cette sorte d’exercice où peut se dissoudre le prestige le mieux établi. Il y avait cependant un noyau dur de collègues bien décidés, adeptes des méthodes actives que le côté « situation en grandeur réelle » séduisait. Il n’en fallait pas davantage pour se risquer sur les vagues.

1er_studio_2    Restait à trouve un nom pour la station. Un appel aux propositions avait fait fleurir tout un bouquet de charmantes appellations. Il y avait le banal radio « radio-collège », côtoyant le superbe « radio-pirate », et aussi « radio-ados », bien sûr. Finalement le choix s’était porté sur « radio-récré » tout simplement parce que, du moins au début, les émissions auraient lieu pendant les récréations et l’interclasse de midi à 2 heures. Très vite ces plages horaires de programme allaient s’étendre à la totalité des journées scolaire, aux mercredi et samedi, au soirées et débuts de journée et plus tard aux vacances scolaires.

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De bric et de broc, la radio tournait et enchantait l’espace. Evidemment tout cela n’était pas encore bien structurée, une large part était laissée à l’improvisation. Les adultes s’efforçaient de se relayer auprès des jeunes pour parler avec eux, les conseiller, voire les rappeler à l’ordre lorsqu’il y avait des risques de dérapage. « Vous n’êtes pas dans la cour ici et même si ça s’appelle radio-récré, ce n’est pas la récréation. Vous ne parlez pas à quelques copains mais à des gens que vous ne voyez pas, cependant bien réels. Vous avez une parole publique, c’est une responsabilité. »

Le soir, lorsque je rentrais épuisé, une autre tâche m’attendait : celle de monter le dossier de demande d’autorisation adressé à la Haute Autorité de l’Audiovisuel. Je noircissais des pages, établissait des budgets prévisionnels, imaginais des grilles de programme, énumérais des concepts d’émissions. Il fallait que ce soit crédible, même si je n’étais sûr de rien. Un jour, l’inspecteur d’académie, chef des services départementaux de l’Education nationale me convoqua dans son bureau. « Monsieur Drouilhet, je trouve votre idée intéressante et originale, mais êtes-vous certain de pouvoir contrôler cette affaire que vous mettez en place ? Ne craignez-vous pas d’être débordé par ces enfants ? » Je lui répondis que je n’étais sûr de rien, qu’il y avait un risque mais que l’on pouvait faire confiance à l’esprit de responsabilité de collégiens. J’ai eu raison : ils ne m’ont jamais déçu. Quant à l’inspecteur d’académie, je reconnais qu’il ne manquait pas de courage. J’ai eu la chance de l’avoir à mes côtés, sinon j’aurais abandonné.

Notre dossier obtint l’agrément de la Haute autorité qui nous attribua une fréquence officielle sur la bande FM. Nous nous trouvions ainsi embarqués dans une extraordinaire aventure. Et vogue la galère…

Jean-Claude Drouilhet

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  • Première radio collégienne en France, créée en 1981, radio récré à fonctionné pendant 8 ans avec des milliers de collégiens, parents, invités. Ce blog veut être une mémoire, un lieu de rassemblement et un outil de réflexion
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